Lamine DIAKHATE
Lamine Diakhaté, né le 16 septembre 1928 à Saint-Louis (Sénégal), alors la capitale des colonies ouest-africaines de la France. Il est l’un des artisans de l’indépendance et de la construction du Sénégal indépendant, aux côtés de son ami Léopold Sédar Senghor ; étant aussi, l’un des grands poètes et intellectuels sénégalais de sa génération. Le poète africain, avec Tchicaya U Tam’si ou Jacques Tati Loutard, amis proches de Jean Breton et des Hommes sans Épaules, depuis 1954. C’est sans doute grâce à de tels hommes (Senghor au premier chef, puis, Diakhaté et bien d’autres fondateurs), que le Sénégal est encore aujourd’hui (cela va-t-il durer ?) un pays stable, ignorant les coups d’États qui affectent tant d’autres pays du continent. « Je cherchais donc, en ces années d’après la Libération, ma propre libération, dans la sueur et le tremblement. Car, par-delà le politique, voire l’économique, il s’agissait de libération spirituelle : véritablement, de recherche. Il s’agissait de trouver, à travers et par ma négritude, mon identité d'homme. Il s’agissait, en un mot, non plus d'être un consommateur, mais un producteur de civilisation : la seule façon, en définitive, qu’il y eut d'être », écrit Leopold Sédar Senghor (cf. « Hommage à Pierre Teilhard de Chardin » in Liberté 5).
Diakhaté a écrit en 1964, alors que la voie africaine du socialisme de Senghor est en verve, que le Sénégal était « le dernier refuge de la poésie, dans ce siècle où l’on a tendance à proclamer la terreur en guise d’humanisme…. Le Sénégal cette nation, est par essence, terre de contrastes et non terre de contradictions, et qui a forgé une éthique de la vie et qui éclaire sa démarche politique à la lumière de l’éthique que voilà… Qu’est-ce que le Sénégal ? Que veut le Sénégal ? Quelle est la voie choisie par le Sénégal ? On a dit que le Sénégalais était un sentimental, qu’il n’était pas un homme réaliste. Certes, dans la mesure où le sentiment n’exclut pas la réalité et dans la mesure où la réalité peut éclairer le sentiment. Sentiment qui part du phénomène de la parole, de cette Parole Primordiale du Troisième Jour qui est Action. Que nous voilà au seuil d’une éthique de la vie dont les fondements ont nom l’honneur et ses corollaires : respect de la parole donnée, fidélité à l’idée, aux amitiés, disponibilité permanente, la piété, ce sens divin qui se traduit par le respect des institutions, de l’ordre établi, l’urbanité qui est une manière de se comporter et qui implique effort, rigueur, travail, comme une sorte d’émulation permanente, comme un souci d’aboutir à la découverte, à la connaissance de l’autre. Et cela dans un pays où connaître signifie mourir à soi pour renaître dans l’autre. Tel est le Sénégal dans une certaine conception…. Que veut le Sénégal ? Il veut poursuivre sa démarche, dans le domaine de la connaissance de l’autre… »
Lamine Diakhaté accomplit ses études universitaires à Katibougou (Soudan), Dakar et Paris, obtenant des diplômes en langues orientales, en phonétique, en littérature et en linguistique. Poète et journaliste, il attire tôt l’attention de Léopold Sédar Senghor. Diakhaté occupe des postes importants en France et au Sénégal, comme chef de la Division d’Information de la Société de Radiodiffusion de la France d’Outre-Mer (SORAFOM) à Paris ; comme directeur de la Radiodiffusion du Sénégal (SORAFOM et Gouvernement du Sénégal) et comme directeur de l’information et de la Radio de la Fédération du Mali. Parallèlement à ses fonctions, il écrit un grand nombre d’articles et d’éditoriaux pour des journaux comme Afrique en marche, Condition Humaine, Dakar-Matin, ou Le Soleil.
Dès l’indépendance du Sénégal (et en passant par l’épisode de la fédération du Mali) en 1960, Lamine Diakhaté est nommé, par le président Léopold Sédar Senghor, Directeur du Cabinet de la Présidence du Sénégal. Il sera également Ministre de l’Information, des Télécommunications et du Tourisme, puis, Ambassadeur du Sénégal au Nigéria, au Maroc, et finalement Ministre Conseiller ou Délégué Permanent Adjoint du Sénégal auprès de l’UNESCO, à Paris. Proche de Senghor, Lamine Diakhaté est l’un des représentants de la négritude, qui, pour lui, donne une voix aux traditions et valeurs de la culture africaine avec le but de participer activement au développement d’un humanisme universel des autres civilisations : « On voulait faire d’eux des assimilés à qui on disait qu’ils n’avaient rien peint, rien bâti, rien écrit, rien chanté et qu’ils étaient le néant. Ils sont alors retournés vers les sources de l’histoire africaine et, avec la langue du colonisateur, ils ont essayé de défendre et d’illustrer les valeurs spécifiques de leurs civilisations et ils ont adopté comme instrument de cette démarche la poésie. Voilà ce qu’était à l’origine le mouvement de la Négritude : une question de défense, d’illustration des valeurs du monde noir. »
Avec Césaire et Alioune Diop, Diakhaté est un des cinq membres du Comité de direction des Éditions Présence africaine, à Paris. Pendant plusieurs années, il sert aussi comme Secrétaire Culturel de la Société Africaine de Culture (SAC). Poète, il est invité dans de nombreux festivals littéraires, en Afrique, Europe et en Asie, et est l’un des organisateurs, du Premier Festival Mondial des Arts Nègres, en 1966, du Festival Culturel Panafricain d’Alger en 1969, des Journées Culturelles Africaines de Turin, en avril 1967, du Colloque sur la Négritude à Dakar, en avril 1971. Le poète sénégalais Amadou Lamine Sall écrit en 1986 : « Poète percutant, aux accents qui ne trompent pas, Lamine Diakhaté est un des rares poètes qui émergent de cette génération « d’écrasés » sous le poids magique des grands ténors de la négritude. Le romancier qu’il devint ne nous vola pas le poète qu’il demeure ! »
Lamine Diakhaté meurt le 25 janvier 1987 à Paris, et est enterré au cimetière musulman de Yoff à Dakar, le 2 février 1987. « Malade, témoigne Jean Breton (in Un bruit de fête, le cherche midi, 1990), Lamine avait été nommé représentant du Sénégal à l’UNESCO. Il lui fallait du temps pour sa dialyse hebdomadaire et du repos ensuite. Nous nous rencontrions plus souvent. Je revois la brève cérémonie de la levée du corps, à l’hôpital Necker, quand il mourut. Ses deux enfants contenaient leur douleur. Parmi une trentaine de proches, j’étais le seul Européen présent, à côté de Maria et de la femme de Lamine. Un marabout prononça quelques paroles très pures mais nulle mention qu’un écrivain et un poète disparaissaient. Je n’osais, en public, devant des inconnus, réparer cet oubli. Senghor l’eut fait, sans doute, mais, retardé, il n’arriva qu’au terme de la cérémonie… » Paulin Joachim écrit alors (in Présence Africaine n°142) : « Lamine Diakhaté, voyageur insatiable. Partout où il a conduit l’inventaire des « lieux de mémoire ». Partout où il est passé sur le sol des ancêtres, Nigéria, Bénin, le Mali, le Maroc, le Ghana, ou le Zaïre, il a palpé le cœur des villes et des faubourgs, écouté la respiration des dieux, dans des poèmes ciselés qui rendent merveilleusement le scintillement des âmes sous le grand soleil africain. Partout, il a voulu gommer les lignes de partage et faire un fagot solidaire et tonique de toutes ces poussières d’Afrique… »
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Œuvres, Poésie : La joie d’un Continent (P.A.B, 1954), Pour la Jeune Fille de Soie Noire (Présence Africaine 2e série n°3, 1955), Primordiale du Sixième Jour (Présence Africaine, 1963), Temps de Mémoire (Présence Africaine, Paris, 1967), Nigérianes (Les Nouvelles Éditions Africaines, 1974), Terres Médianes (éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984). Prose : Lecture libre de Lettres d’hivernage et d’Hosties noires de Léopold Sédar Senghor, essai (Les Nouvelles Éditions Africaines, 1976), Chalys d’Harlem, roman (Les Nouvelles Éditions Africaines, 1978), Le Sahélien de Lagos, roman (Les Nouvelles Éditions Africaines, 1984).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Tchicaya U TAM’SI, le poète écorché du fleuve Congo n° 54 |